Retour de la dictature, l’exemple du Nicaragua en 2024

Juin 2025

Table of Contents / Table des matières

RETOUR DE LA DICTATURE

L’exemple du Nicaragua en 2024

Juin 2025

 

Une étude de cas Fondemos

RAPPEL DES FAITS

En 1979, la révolution menée par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) met fin à la dictature des Somoza au Nicaragua. Daniel Ortega devient président en 1985, puis perd les élections de 1990. Il revient au pouvoir en 2007, cette fois par les urnes, mais amorce progressivement une concentration autoritaire du pouvoir, en modifiant la Constitution et en plaçant ses alliés à la tête des institutions clés.

À partir de 2018, une vague de protestations contre la réforme des retraites est violemment réprimée, faisant des centaines de morts. Depuis, le régime d’Ortega s’est durci : arrestations massives d’opposants, contrôle des médias, élections truquées. Le Nicaragua est aujourd’hui qualifié de dictature, dominée par le couple Ortega-Murillo, sans liberté d’expression ni d’opposition politique réelle.

Carte du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères français

L’ÉCHEC (JUSQU’À PRÉSENT) DE LA LUTTE POUR LA DÉMOCRATIE

Cet échec peut s’expliquer par un faisceau de facteurs internes et externes, combinant répression violente, contrôle institutionnel, fatigue sociale et désengagement international. Cette impasse s’explique par les éléments suivants :

1. Une répression implacable et systématique

Le régime Ortega-Murillo a progressivement démantelé tous les contre-pouvoirs et utilise :

  • La police, l’armée et les milices pour réprimer toute manifestation.
  • Des lois anti-terrorisme pour criminaliser toute critique.
  • Des procès expéditifs pour condamner journalistes, étudiants, et militants.
  • La déchéance de nationalité pour des dizaines d’opposants, créant une citoyenneté à deux vitesses.

Résultat : le coût personnel et familial de la résistance est devenu trop élevé pour beaucoup.

2. Un contrôle total des institutions

La Justice, la commission électorale, les médias publics et l’Assemblée nationale sont tous aux mains du régime. Les tribunaux, en dépit des dispositions constitutionnelles, ont accordé à Daniel Ortega le droit de se représenter aux présidentielles de 2011. La Constitution modifiée a acté cette autorisation a posteriori en 2014

  • Les élections sont devenues des simulacres sans opposition réelle. En 2021, Ortega est réélu à 75,9% des suffrages, après avoir arrêté ou empêché de se présenter les autres candidats.
  • L’espace civique a été éradiqué : plus de 3 000 ONG interdites depuis 2018.

Il s’agit d’un régime autoritaire dans sa structure et verrouillé sur le modèle du Venezuela ou de la Biélorussie.

3. Une opposition fragmentée et en exil

  • L’opposition politique a été décapitée : ses principaux leaders sont en prison ou en exil.
  • Les coalitions (comme l’Unión Nacional Azul y Blanco, ou l’Alliance civique) manquent souvent de cohérence stratégique.
  • La société civile, même mobilisée à l’étranger, n’est pas assez connectée à la population restée au Nicaragua.

Une résistance sans ancrage territorial durable finit par s’essouffler.

4. Une population épuisée et résignée

  • Beaucoup sont entrés dans une logique de survie : fuir, se taire, ou s’adapter.
  • Il existe une forme de peur intériorisée, mais aussi de lassitude, voire de désillusion face aux élites politiques.

L’espérance démocratique de 2018 s’est transformée en une profonde déception collective.

5. Un désintérêt croissant de la communauté internationale

  • L’Union européenne, l’OEA (Organisation des États américains) et les États-Unis ont condamné le régime, sans toutefois avoir de véritable stratégie concertée.
  • Les sanctions ciblées (gels d’avoir, interdiction de circuler) adressées par les USA et l’UE contre Rosario Murillo, et d’autres dignitaires du régime, ont peu d’effet.
  • Le Nicaragua a quitté l’OEA, renforcé ses liens avec la Russie, la Chine et l’Iran, et s’est repositionné avec “l’axe autoritaire mondial”.

L’absence de pression forte et coordonnée permet au régime d’éviter un isolement international.

6. Une stratégie de « stabilité autoritaire »

  • Ortega capitalise sur un ordre social minimal (au prix des libertés publiques) et une croissance économique sous perfusion. La Chine, notamment, a investi dans des infrastructures (routes, énergie, technologie) tandis que les flux informels, principalement les envois de fonds de la diaspora, représentent environ 15 % du PIB
  • Il joue la carte du moindre mal face au chaos (réel ou perçu) qu’entraînerait un changement brutal.
  • Il conserve l’appui d’une partie des élites économiques et de secteurs religieux plus conservateurs.

Ce mélange d’autoritarisme, d’alliances pragmatiques et de clientélisme étouffe toute émergence d’alternatives politiques ou sociales crédibles.

COMMENT AGIR SUR CES FACTEURS POUR AFFAIBLIR L’AUTORITARISME ?

Pour affaiblir l’autoritarisme au Nicaragua, il ne suffit pas de dénoncer : il faut agir de manière stratégique et multisectorielle. Chaque facteur qui alimente l’autoritarisme peut devenir un levier de pression et de résistance, à condition de combiner mobilisation interne, soutien extérieur, et vision à long terme.

Le président du Nicaragua Daniel Ortega et sa femme lors d’un meeting à Managua, le 5 septembre 2018

 1. Contourner et exposer la répression

Actions concrètes :

  • Documenter les violations via des ONG et plateformes numériques sécurisées (ex. : SOS Nicaragua, Confidencial, La Prensa en exil).
  • Former des militants à la cybersécurité et au journalisme citoyen pour contourner la censure.
  • Amplifier les voix exilées grâce à des relais médiatiques internationaux, podcasts, tribunes, etc.
  • Créer des archives numériques de la répression : de manière à construire une mémoire pour la justice future.

Objectif : Ne pas laisser le silence s’installer. L’ombre protège le pouvoir, la lumière le fragilise.

 2. Renforcer l’opposition démocratique, même en exil

Actions concrètes :

  • Aider à structurer une opposition unifiée et crédible : plateforme commune, stratégie partagée, leadership pluraliste.
  • Appuyer les efforts d’éducation politique dans la diaspora.
  • Créer un gouvernement en exil (comme le National Unity Government birman) pour incarner une alternative.

Objectif : Offrir un contre-récit. Une opposition faible nourrit l’illusion qu’“il n’y a pas d’alternative”.

3. Travailler avec la population à l’intérieur du pays

Actions concrètes :

  • Soutenir discrètement les réseaux communautaires (associations religieuses, coopératives, mouvements de femmes, etc.).
  • Lancer des campagnes de désobéissance civile, dans un premier temps symboliques mais bien visible.
  • Encourager les formes artistiques de résistance (musique, poésie, graffitis, etc).
  • Offrir des alternatives économiques aux clientélismes d’État (microcrédit, soutien depuis l’étranger, etc.).

Objectif : Maintenir une étincelle d’organisation locale, sans mettre en danger les citoyens.

Une manifestante brandissant une pancarte où il est écrit : “Ils peuvent nous enlever la vie, mais jamais la liberté”. Avril 2018. Photo Rodrigo ARANGUA /AFP.

4. Activer les leviers internationaux de manière stratégique

Actions concrètes :

  • Sanctions ciblées et intelligentes, évitant de pénaliser la population (gel d’avoirs, interdictions de voyager).
  • Soutien actif à la société civile et aux médias indépendants (financement, formation, hébergement sécurisé).
  • Reconnaissance formelle des opposants en exil, statut de réfugiés, tribunes dans les institutions internationales.
  • Conditionner les investissements et accords internationaux à des gestes politiques (libération de prisonniers, élections surveillées, etc.)

Objectifs : que l’opposition retrouve un appui extérieur crédible, et que le coût de la répression dépasse ses bénéfices.

5. Lutter sur le terrain symbolique et narratif

Actions concrètes :

  • Démystifier les discours du régime en proposant des contre-récits simples, puissants, émotionnels.
  • Créer des campagnes virales en ligne qui mobilisent la jeunesse et déjouent la propagande.
  • Donner un visage humain à la résistance : vidéos, portraits, témoignages.
  • Éduquer à la démocratie par des formats accessibles : BD, vidéos TikTok, théâtre communautaire, etc.

Objectif : Faire exister la démocratie dans les têtes, avant de la reconstruire dans les faits.

6. Préparer l’après-Ortega dès maintenant

Actions concrètes :

  • Former des futurs cadres démocrates dans la diaspora.
  • Penser la justice transitionnelle : mémoire, réconciliation, procès ?
  • Planifier une reconstruction institutionnelle : constitution, justice, médias, armée.
  • Créer des ponts avec les élites économiques et religieuses modérées qui pourraient basculer.

Objectif : Être prêt à reconstruire rapidement si une brèche s’ouvre.

CONCLUSION

Pour affaiblir durablement un régime autoritaire, il est essentiel d’agir sur plusieurs fronts simultanément. Face à la répression, la documentation des violations, le cyberactivisme et le relais par des instances internationales permettent de briser le silence et de mobiliser le soutien extérieur. La fragmentation de l’opposition, souvent exploitée par les régimes, peut être surmontée par l’unité autour d’une stratégie commune, notamment via des plateformes d’action en exil. Pour contrer la peur et la lassitude, il s’avère essentiel de consolider des formes de résistance discrètes mais efficaces, basées sur la solidarité de terrain et le maintien du lien social.

Le contrôle des institutions peut, quant à lui, être remis en cause par des pressions extérieures et la mise en place d’alternatives, tandis que le narratif autoritaire doit être déconstruit par un contre-récit relayé à travers l’éducation populaire et des symboles de résistance fédérateurs. Enfin, pour rompre l’isolement international des peuples opprimés, les sanctions ciblées, la reconnaissance politique de l’opposition et une diplomatie citoyenne active jouent un rôle majeur. Ces leviers combinés renforcent les capacités de résistance d’une société face à l’autoritarisme.

SOURCES

  • Nicaragua: EU imposes sanctions on eight more individuals, 2/08/2021, Council of the EU
  • Le Nicaragua à la veille des élections : de fausses fenêtres démocratiques?, 5/11/2021, Fondation Jean Jaurès, Jean-Jacques Kourliandsky
  • Réponses à vos questions sur le Nicaragua et le pouvoir absolu du couple présidentiel Ortega-Murillo, 25/01/2025
  • « Le Nicaragua sous la terreur du couple Ortega-Murillo », Journal des anthropologues, Delphine Lacombe
  • Nicaragua (2018-2019). Une crise révolutionnaire, 2019, Gilles Bataillon, Problèmes d’Amérique latine
Partager :

Plus de lecture